Et en portugais, comment se dit « papillon » ?

Mémoires interdites du Baron Gustave de Merransac de la Pigeonnière…

… or voici en quelques mots bien choisis comment mes gais compagnons et moi-même, mirent à mal une alliance contre-nature entre un marchand vénitien et un échappé du Galérion, en ce beau mois de septembre 1657.

Les sieurs De la Haute-Tirelière, Baron de son état, De la Mornay et Von Bundies, tout deux galants chevaliers, et votre serviteur furent convoqués en urgence, comme il est de coutûme, par notre capitaine pour une mission délicate. Deux écuyers du Galérion avait faussé compagnie à leur équipage pour goûter les plaisirs d’une soirée mondaine donnée par l’exquise Mademoiselle de Maupertuis. Cette virée compromettait évidemment la discrétion des affaires du roi et il nous appartenait de reconduire séance tenante les deux contrevenants, sans inutile brusquerie mais sans complaisance. Vous m’aurez compris, cher lecteur…

Arrivant à la soirée, nous les trouvâmes fort à leur affaire avec trois gentilhommes, dans le jardin de Mademoiselle de Maupertuis. L’ébriété avait une fois de plus fourni matière à querelle, et le parti des deux écuyers, qui ne connaissait rien au métier de l’escrime, se trouva promptement mal engagé. Ce n’est pas sans courage qu’il nous fallut intervenir pour faire respecter l’ordre du roi et séparer les deux camps. D’autant plus que perdant tout sang froid, l’un des écuyers sortit une de ces armes étranges, dont aujourd’hui encore je ne m’explique ni l’usage, ni le fonctionnement.

C’est sur ces entrefaits d’un calme retrouvé, que le baron Marcilly de Castel, paix à son âme, nous interpela. Il avait assisté à toute la scène et l’étrangeté de certains détails, les extérieurs des deux contrevenants, l’arme que brandit l’un de ces messieurs, lui en rappelait une autre dont il nous entretint sans délais : un de ces amis, marchand vénitien, était entré en possession d’une salamandre de plus d’un mètre soixante… sans entrer dans plus de précision, cher lecteur, vous voyez que l’aventure une fois de plus frappait à notre porte.

Après un rapport complet à notre capitaine – où je ne sais quelle généreuse impatience nous interdit de remettre l’arme étrange – et une nouvelle entrevue avec le sieur Marcilly de Castel, il fut décidé la chose suivante. Nous partirions incessament pour Venise, rencontrer le sieur Vittorio di Tucano, puisqu’il s’appelait ainsi, en son palais des Sicomores. Nous serions introduit en son commerce par la fille du baron, la charmante Marjolaine Marcilly de Castel, qui semblait aussi enchanté que nous de cette aventure. Les objectifs suivaient les priorités d’usage, à savoir ramener la créature vive, ou en second choix morte, ou à tout le moins des informations de toute nature la concernant. Selon les propos du sieur Marcilly, on pouvait identifier un évadé particulièrement coriace, un Angoostii, salamandre orange rayé de vert, aussi à l’aise sur terre que dans l’eau ; entre autres prouesses, on la savait capable de lire dans les pensées et intentions récentes. Le seul échapatoire était une consommation immodérée d’alcool, qui comme chacun peut en faire l’expérience, embrume l’esprit, le vif comme le vil.

Je vous passerai, cher lecteur, les péripéties du voyage, d’un intérêt secondaire pour le présent récit, et dont le souvenir, craindrai-je de l’avouer au soir de ma vie, n’est plus très vivace en moi. Qu’il vous suffise de savoir que nous arrivâmes sauf, sur nos fiers destriers, dans la sérénissime république de Venise. Par une prompte audience, la belle Marjolaine nous obtint une invitation à souper chez l’ami de son père pour le soir même. Elle nous prévint aussi que nous dinerions en présence d’autres convives de qualité. Ainsi en fut-il fait… Quelle ne fut pas notre surprise lorsque, dans un petit salon de convenance du Palais des Sicomores, où nous fumions le Narguilé, nous nous aperçumes que nous partagerions le souper avec un Ottoman et ses trois hommes de mains. Le repas avec Vittorio di Tucano répondit à nos espérances les plus folles. Sans sourciller, le marchand nous avoua qu’il tenait en sa jouissance depuis six mois une créature surprenante, qu’il nous pressa même de voir avant le dessert. Vidant nos coupes de vins, comme il nous avait été conseillé, nous suivîmes le sieur Vittorio dans son Palais jusqu’à une salle dont une partie du plancher était remplacée par un verre, couvrant un aquarium géant. Nous y vîmes non sans frissons l’odieuse créature des abymes de l’espace. Avant de quitter le palais, nous eûmes de façon indélicate l’occasion d’assister à d’étranges tractations entre le sieur Vittorio di Tucano et les Ottomans, tractations dont le contenu cependant nous échappa.

Rendu à ce lacis de rues et de ruelles, qui composent ce labyrinthe qui a nom Venise, nous décidâmes de suivre les étranges Levantins. Mais, cher lecteur, et nous l’avons appris plus qu’à notre tour dans ces années au service du roi, qui tel a l’habit n’est pas moine, et ces hommes que par l’appartenance à quelque souche douteuse, nous soupçonnions déjà de vice, n’était probablement que d’honnêtes commerçants. Et c’est comme tel qu’ils furent lâchement assassiné au détour d’une rue par six malandrins masqués de blanc. A partir des éléments de la soirée et de documents trouvés sur la dépouille du turc, nous échaffaudâmes une théorie des plus pertinentes : le marchand de Venise, noble seulement par le titre, avait pactisé avec la créature impie. Il lui avait fait lire les pensées de son visiteur Ottoman et découvrant quelque dessein contraire à ses projets, avait commandité qu’on l’occisse.

Nous décidâmes alors la mise en oeuvre d’un plan en deux temps : Premièrement, trouver un bateau français qui accepte de nous convoyer avec armes, montures, prisonniers et bagages jusqu’à notre beau pays de France, ce qui fut fait sur le coup des cinq heures. Deuxièmement, aller manu militari récupérer la créature, dussions-nous laisser en cendre le Palais des Sicomores, mettre un terme à l’odieuse association, et embarquer avant le lever du jour.

Ces glorieux faits d’armes qui ont suivi, seuls les mots du poète pourraient les ressusciter avec tout leur éclat ; je me contenterai à ma confusion, et platement, de citer quelques faits que la légende des mousquetaires de l’ombre a conservé. Nous usâmes d’un stratagème pour déambuler à notre guise dans le palais. Nous mîmes le feu à une de ses dépendances ce qui ne manqua pas de détourner l’attention de la domesticité et de la garde. Progressant vers la salle de l’aquarium, nous découvrîmes à notre stupéfaction le fourbe Vénitien en intelligence avec la salamandre dans le salon de commodités, partageant la parole et le plaisir de fumer. Oubliant sa religion, le chevalier Von Bundies asséna un coup de Prie-Dieu sur le chef du sieur Di Tucano, cependant que nous enroulions la salamandre, non sans qu’elle résista, dans une tenture que la bonne fortune avait mis entre nos mains. C’est avec ce paquet, dont seule l’apparence était innofensive, que nous embarquions sur la Caravelle Charles de Gaulles à l’heure dite.

L’arrivée à Toulon, et le voyage à Paris, n’était alors plus que des délais sans saveur avant notre ultime rapport de mission.

Intrigué ? Ca se passe comme ça, dans [Mousquetaires de l’Ombres](http://www.phenix-edition.org/mdo/index.html)…

NB Republication d’un article de février 2005 sur mon ancien site